Catalogue Fondation Neuflize Vie, Paris, “Photographies modernes et contemporaines ” texte de Larisa Dryansky (historienne de la photographie).
Philip Provily s’intéresse à ce qui est caché. Sa photographie est bâtie sur des ambiguïtés : faux reflet du double miroir qui coupe la tête du modèle; chiasme d’un couple assis à une table de restaurant, elle, brune, tout de blanc vêtue, lui, chauve, habillé de noir, leur visage à tous deux estompé. L’incongruïté règne dans ces compositions alliant mise en scène et capture d’un instant fugace. L’esprit de Magritte est passé par là, qui nous dit de ne pas nous fier aux apparences. Et avec lui un « humour mélancolique », selon le mot du photographe, qui souligne la fragilité des êtres et des relations humaines.
Posant la question de l’identité et de l’altérité, du même et de l’autre, ces images montrent tout ce que la proximité peut contenir d’éloignement et, a contrario, tout ce que par quoi la séparation peut unir. Écrasant la perspective, la focale de l’objectif photographique abolit dans un cas la distance entre l’homme et la femme, superposant en partie leurs silhouettes qui semblent comme dédoublées l’une par l’autre. Le contact entre ces deux corps reste cependant imaginaire, leur écart fortement désigné par le geste de l’homme qui enlace son torse : parabole de l’incommunicabilité, ou plutôt du désir empêché ? Un autre moment présente le couple de part et d’autre de la table. Tout les sépare. La jeune femme s’est dissimulée derrière un pilier. Pourtant, l’on devine son sourire. Le triangle insolite d’une serviette dressée se répercute dans les attitudes des corps (coude plié, ligne des épaules), les reliant l’un à l’autre. Étranges, proches mêmes de la schizophrénie comme dans la photographie kafkaïenne du miroir, les compositions de Provily irradient cependant une grande quiétude. Éclairées de la lumière tranquille des grands maîtres de la peinture du Nord, elles sont pleines d’un silence habité.